Y. Lodygensky u.a. (Hrsg.): Face au communisme

Cover
Titel
Face au communisme. Quand Genève était le centre du mouvement anticommuniste international (1905–1950)


Herausgeber
Lodygensky, Youri; Caillat, Michel
Reihe
«Suisse–Evénements»
Erschienen
Genève 2009: Slatkine Reprints
Anzahl Seiten
616 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Stéphanie Roulin

Voici une publication qui tient de l’autobiographie autant que de la chronique. Autobiographie d’un médecin russe à la destinée hors du commun, que les circonstances de la guerre civile conduisent à s’installer à Genève en 1920. Chronique d’un mouvement de propagande à l’étonnante longévité, l’Entente Internationale anticommuniste (EIA), que Georges Lodygensky fonde en 1924 avec l’avocat genevois Théodore Aubert.

Le volume réunit deux livres rédigés dans les années 1960. Le livre I, Une carrière médicale mouvementée, Russie–Genève 1908–1925, relève du récit initiatique, voire picaresque, à ce détail près que l’auteur est issu d’une famille de propriétaires terriens et d’officiers de Russie centrale. Les péripéties de la Grande guerre et de la guerre civile lui font parcourir le pays de l’extrême nord (en Prusse orientale où il est propulsé second médecin auprès d’un régiment de tirailleurs finlandais), jusqu’à l’extrême sud (voie de l’exil vers l’Europe), en passant par Lvov puis Kiev, où il séjourne de 1917 à 1919, en tant que médecin-chef d’un hôpital placé sous les auspices de la Croix-Rouge russe. Le docteur y est le témoin des fréquents changements de régimes et doit finalement quitter la ville, accusé – vraisemblablement à raison – de recruter des officiers blancs par le biais de son hôpital. Durant ces mois troublés, il se lie d’amitié avec le consul de Suisse, Gabriel Jenny, qui lui remettra un passeport helvétique. Dès son arrivée à Genève, G. L. parvient très vite à établir de nombreuses relations utiles au sein du CICR. La persévérance, un certain sens de l’à-propos ainsi que l’accueil que lui réserve la petite communauté russe de la ville permettent au docteur de se recréer bientôt une situation: il devient le chef rétribué du bureau de la Croix-Rouge russe (ancien régime) à Genève, qui doit servir de liaison entre la direction de la Croix-Rouge russe à Paris, le BIT et le Haut Commissariat de la SDN pour les réfugiés russes en Europe, tout en facilitant à l’occasion les relations avec l’armée blanche en exil du général Wrangel. L’imbrication des réseaux familiaux, du CICR et de l’émigration blanche est si favorable que, dès les premiers mois du séjour genevois, les bases de ses relations anticommunistes suisses et émigrées sont jetées.

Le second volet, qui donne son titre au volume, est découpé en quatre parties qui couvrent (presque) tous les aspects des activités de l’EIA. Il s’ouvre sur la fameuse affaire Conradi et sur la fondation consécutive de l’EIA, destinée à lutter contre le Komintern, le communisme et les «fruits empoisonnés» qu’elle lui associe: socialisme, syndicalisme réformiste, anarchisme et athéisme. Le récit s’attache ensuite au développement des structures et des actions: recrutement de nouveaux membres du Bureau Permanent, du secrétariat et des sections spéciales, campagnes, missions à l’étranger (on lira entre autres avec beaucoup d’intérêt les missions du docteur aux USA et en Allemagne), contexte et contenu des treize conférences de l’EIA entre 1924 et 1939, etc. Ainsi abordés, ces différents points donnent la mesure de l’impressionnant carnet d’adresses international de l’organisme et révèlent l’étendue, l’intensité et la constance du combat engagé par les protagonistes de l’EIA. Les troisième et quatrième parties témoignent de la difficulté de ces derniers à s’adapter aux événements de la guerre: le coup de semonce du pacte germano-soviétique, la «divine surprise» que constitue pour eux l’opération Barbarossa, Stalingrad, l’effondrement de l’Axe et la dévalorisation des mouvements anticommunistes qui, comme l’Entente, se voient reprocher leurs accointances avec le régime nazi. Autant d’épreuves que G. L. ressent comme une injustice. Il déplore notamment le fait que «les folies et les abominations du régime nazi [aient effacé] pour un certain temps la claire vision des crimes du communisme que nous avions réussi à répandre à travers le monde» (p. 518).

Conçue à l’origine comme une entreprise mémorielle, l’initiative de la publication revient à Youri Lodygensky, le fils cadet du docteur qui, grâce au concours de l’historien Michel Caillat, l’a transformée en édition critique fidèle à la forme de l’original. On déplorera seulement que ce souci de fidélité ait été poussé jusqu’à conserver les caractères gras dont l’auteur usait fréquemment pour souligner ses propos. La qualité de l’appareil critique établi par M. Caillat fait cependant rapidement oublier cette concession graphique. Ses notes de bas de page permettent de faire la part des exagérations et des inexactitudes inhérentes au genre des mémoires. Elles complètent, nuancent et rectifient, grâce à un croisement systé matique avec des sources primaires et secondaires diversifiées, au premier rang desquelles figure la matrice: le fonds d’archives de l’EIA. M. Caillat le connaît dans ses moindres détails, alors que l’auteur n’y avait plus accès au moment où il rédigeait. Réalisé dans un souci constant de précision, aussi bien dans les dates que dans les noms et les références, cet appareil est accompagné d’un indispensable index biographique et d’une riche section de photographies. Il donne un surcroît de valeur à cet inestimable témoignage de l’anticommunisme durant l’entre-deux-guerres et en fait une source immédiatement utilisable par les chercheurs.

Citation:
Stéphanie Roulin: compte rendu de: Face au communisme. Quand Genève était le centre du mouvement anticommuniste international (1905–1950). Edition préparée et présentée par Youri Lodygensky et Michel Caillat. Genève, Slatkine, «Suisse–Evénements», 2009. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 60 Nr. 1, 2010, p. 152-154.

Redaktion
Veröffentlicht am
06.02.2012
Beiträger
Redaktionell betreut durch
Kooperation
Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
Weitere Informationen